Annonce faite aux rongeurs


A toi, frange de l'ombre
très süre protection des terres inconnues

A toi, porte ultime,
Tenue par les grands chiens de pierre

A toi, usure du vieil âge,
Qui laisse filer l'or brun et la splendeur des verts

A toi corps scellé de la peur,
statue de nerfs et de cristal mort

Et toi encore, rictus de faux sage
Qui singe le piètre amour,

A vous tous : arrêts de rigueur !

J'annonce le franchissement,
la défaillance bénie de l'au delà des seuils.

Vous ne me croyez pas, mais vous verrez,
Vous verrez ...

Vous verrez ce qui passe les rêves
La roche pulvérisée et la peau de la terre
Vous verrez ...

Vous verrez
Que l'immense s'ouvre
aux myriades du soleil.

 

 

Le rire de la bascule

 

Laissez là tout convoi
Radars, spectomètres, lidars
Ils y deviendraient fous

 

Posez tout ce que vous savez,
Planté là, au centre, comme vous êtes
Oubliez le près, le loin, le dehors, le dedans
Le jour et la nuit.
Le temps s'est renversé et l'espace vous nargue.

 

Tout tourne? Non, tout se tient
Vous voyez: tout se tient bien.
Tout bouge et se tient bien.
Tout s'enchevêtre et se sépare. Il suffit de ne pas avoir peur. Tenir.
Vous connaissez les lignes et la démarcation.
Vous connaissez très bien. Dans l'inconnu, vous êtes chez vous. Il suffit de tendre l'oreille
Pour entendre
Le rire de la bascule.

 

 

Rage de dents

 


S'adapter
S'intégrer
Se fondre dans le paysage
Se couler dans la masse
Se mouler
Se calquer S'amalgamer
S'insinuer
Se mettre au diapason
S'harmoniser
Se cultiver
S'identifier
S'apparenter

L'ennui c'est la peau, tout vient de là.
Poreuse, durcie/radoucie. S'adapte trop bien. Se refait trop bien

Et puis l’œil aussi. Glisse partout. S’habitue. S’approche. Dévore

Et l’oreille qui met ses feutres et ses balans.

L'ennui, c'est l'ennui.
Les petites têtes réduites
Les rêves de jivaros
Tout à portée de mains.
Tout l’inconnu asservi,
Planté à l'entrée de la tente. Séché, mâché, coupé.

L'habitude a la peau douce
Et les dents du monstre.

 

 

Radix


Vous avancerez dans la déroute
Dans le mélange des eaux
Dans le froissement des sables

 

Dans un incessant déchirement d'aube
Perdus au milieu des cailloux

 

Dans le socle grinçant des silex
Vous vous enracinerez

 

Personne ne connaît la puissance des racines quand elles en veulent aux murs
Et soulèvent les vents

 

Perconne n’en connaît la couleur sous l’innocence des feuilles

 

 

Bouche bée

 

 

A ce lieu de mouvance
Le silence vous inventera

 

Vous saurez que vous êtes inconnus à vous-même


Nus dans la verdeur du silence
Et frissonnants.
Et le jour ni la nuit ne porteront la parole

 

Vous essaierez
Balbutierez
Gloserez
Renoncerez
Souverains du grand mutisme

 

Pas de quoi s'affoler!
Cela commencera par une tristesse de gargouille Et puis ce sera beau
Et désolé
Et tendre
Comme la bouche de l'écho.

 

 

Le songe de la cigogne


Vous rêverez
Vous rêvez déjà

Ce que vous avez vu de haut, ce que vous avez vu d'en bas
Des villes d'autrefois, de leurs rues
De leurs plaques, de leurs plans. De leurs plaies

Des arbres alignés
Des arbres arrachés

Des parkings, des sifflets, des ordonnances
Des sens interdits, des gens aimés, des gens haïs
Des contrôles, des papiers, des bulletins.
Des banques

Vous y marchez encore
Rue du Général de Clartin
Rue du Président Mordrini
Impasse des oiseleurs
Boulevard du Palais
Orange
Rouge
Vert
Orange
Rouge
Vert
Orange

Vous aimez les cycles et les villes sont têtues.
Elles attendent en coin.

Livre Terre Inconnue

Textes de Françoise Le Corre et dessins d'Yves Charnay